Lore, oiseau migrateur

Lore est née en Allemagne en 1934.
Elle est décédée le 7 mai 2015, à 80 ans, après avoir vécu en France pendant 50 ans.

Au moment d’écrire cet hommage à ma maman, à mamie Lore, pour parler d’elle et de sa vie, évoquer ses centres d’intérêts et ses passions, une suite de mots a d’abord jailli. Les souvenirs ont suivi.

Douée, exigeante, perfectionniste, emmerdeuse, fumeuse mais surtout voyageuse.
Hélas, beaucoup trop fumeuse et, après ma naissance, plus autant voyageuse.

Lufthansa : avions et aéroports, désert du Sahara, Liban, Iran et Ispahan, tapis d’Orient…

Voigtländer et Leica : ses appareils fétiches, avec lesquels elle fît une multitude de diapos et de photos… Car oui, elle appréciait les paysages. Elle disait souvent qu’elle aimait avoir « une belle vue ». Elle m’a transmis la couleur de ses yeux et surtout son regard.


Atlas : depuis qu’elle ne prenait plus l’avion, elle aimait se plonger dans les cartes de son grand atlas mondial. Elle aimait tant la géographie, elle était incollable sur le nom des capitales de tout pays.

Ricola : les bonbons suisses qu’elle partageait volontiers avec son petit-fils, Nicolas.
La Suisse, Châtel et les dents du midi, cimes dont elle ne se lassait pas, qu’elle aimait voir apparaître lors de nos randonnées pédestres.

Marcheuse, très bricoleuse, bridgeuse… Et aussi cruciverbiste, les mots croisés de Laclos chaque semaine déchirés dans Le Figaro puis savamment remplis.

Paprika et les animaux : poules et vaches de son enfance, chats depuis toujours pour leur indépendance, plus tard chiens pour leur fidèle attachement. Egalement protectrice de hérissons (pour leur piquant sans doute), animaux de la savane (des éléphants, aux zèbres et buffles jusqu’aux hyènes). Elle les aimait tous.
Sans oublier les chouettes qui remplissaient vitrines ou bibliothèques en écho à celles qui hululaient dans la nuit à Spreitgen-Nümbrecht où elle naquit.

L’ Allemagne : une question me taraude au moment de faire mes adieux … me serais-je trompée de langue ? Ne devrais-je pas plutôt m’exprimer en allemand ? Hélas, je peux le dire aujourd’hui, « les mots allemands me restent en travers ». Le français passera-t-il la frontière qui désormais nous sépare ?

Polyglotte : Lore parlait l’allemand bien sûr, l’anglais et le français (sa 5e langue après le latin et l’espagnol). Tous ses employeurs ont loué sa parfaite maîtrise des langues étrangères ; elle était trilingue. Depuis très longtemps, elle rêvait en français mais elle jurait encore et toujours en allemand, « verdammte Scheisse » !

A son bébé, sa fille chérie, elle a parlé allemand pendant 3 ans et demi, puis a « switché » en français ; il y avait de quoi en perdre son latin. « Scheisse »

Expatriée, déracinée : elle a quitté son pays natal par amour pour Guy, son mari, mon papa. Et aussi pour d’autres raisons sans doute… Peut-être que derrière tous ses voyages et au-delà des paysages, se cachait simplement le besoin de s’éloigner, de tenir à distance une souffrance.

Encore un mot, pudique : ma maman n’aimait pas déranger les autres ; elle était infiniment discrète, très pudique. La pudeur comme cache-douleur. Souvenons-nous que dans sa jeunesse, elle connût un grand malheur.

Sœur orpheline, inconsolable, un cœur meurtri puisque son grand frère bêtement parti sur une plaque de verglas à moins de 20 ans, en Allemagne justement. Elle avait 17 ans.
Cet abysse, la perte de Lothar, elle n’a jamais pu le combler…

Pour clore, les derniers mots de Lore.

Oiseau migrateur, désert : en novembre 2013, l’esprit encore vif et alerte, elle me disait : « Je suis un oiseau migrateur, je ne m’attache pas aux lieux. » Après avoir volé autour du globe du nord au sud, d’est en ouest, l’oiseau migrateur avait fait son nid en France. En mars dernier, alors hospitalisée et désorientée, elle affirmait devant quelques clichés : « Le désert du Namib est le plus beau, il a quelque chose de spécial ».

Son dernier voyage mènera Lore sur l’autre rive de la Méditerranée, en Afrique. Le vent emportera ses cendres dans ce désert qui l’avait émerveillée. Ainsi aura-t-elle toujours une belle vue.

Paroisse protestante de Saint-Maur-Des-Fossés, 15 mai 2015


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Publié par Alexandra Deschamps

Journaliste, psychanalyste, animatrice d'ateliers d'écriture

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