Philippe est décédé d’un cancer le 29 octobre 2017 à l’âge de 68 ans. Sa soeur a confié à Via Noé l’écriture d’un hommage personnalisé qu’elle a lu au cours de la cérémonie funèbre.
Philippe,
Nous avions pris l’habitude de nous saluer par acronymes quand on s’écrivait des sms. Tu étais « GF », mon grand frère ; j’étais « PS », ta petite sœur. Tu m’appelais « petite soeur » et j’aimais ça. Une génération nous séparait. Quand je suis née, tu avais 21 ans et tu étais déjà père, celui de Laëtitia. Puis tu as été celui de Mathias et enfin celui de Suzanne. Tu avais ta vie, on ne s’est que rarement croisés pendant mon enfance ou alors au gré de visites de notre père à Barbey. Tu étais l’un de mes demi-frères.
Ce n’est qu’une fois adulte que j’ai vraiment appris à te connaître. Je me rappelle un déjeuner avec notre père et Thierry. Nous étions, fait rare, tous les quatre réunis. Papa heureux de cette occasion de partage avec ses 3 enfants. Puis, il y eût les funérailles de mamie, nos larmes versées ; mon mariage, plus joyeux, et ce triste mois d’octobre 1999 où nous avons enterré notre père.
Comme lui, tu es mort un jour d’octobre. Lui le 1er, toi le 29. Octobre, c’est aussi le mois de naissance de notre frère dont on ne sait plus rien, si ce n’est qu’il a fêté ses 59 ans quelque part dans le Sud. Thierry te connaît sans doute mieux que moi, mais il est absent. Il s’est tiré, le rebelle… !? Ainsi le surnommais-tu.
Alors qui étais-tu, toi, notre aîné ?
Un petit garçon aux oreilles décollées, un gaucher contrarié, un gamin élevé chez les jésuites, un boy scout devenu un temps photographe, puis électricien.







Un homme mystérieux, voire secret, assurément vif et intelligent, doté d’un sens de l’humour affûté, tourmenté sûrement aussi. On m’a dit de toi que tu étais paresseux, peut-être, je ne sais pas ; malchanceux, sans doute, je ne sais pas trop ; un peu menteur, peut-être, je ne veux pas savoir ; fumeur et trop buveur, oui hélas, chacun sait.
Samedi, j’étais chez toi à rassembler affaires et objets. En vrac, les appareils photos anciens, ta vieille guitare et ton harmonica ; la maquette du Belem, démarrée et qui restera inachevée ; l’horloge, le sabre et les épées du grand-père Claude (son maillet de Franc-mac’ aussi) ; le jeu de tarot et les échecs, les classiques du cinéma français (de Gabin à Belmondo), les films de gangsters, nombreux. D’ailleurs, grand frère, tu fus un peu voyou toi-même, n’est-ce pas ‘zonzon’ ?
Comment savoir qui tu étais vraiment au fond ?
A travers tes lectures, peut-être. Dans notre famille, on aime les livres. Tu n’en manquais pas, tu appréciais entre autres l’histoire et les polars. Parmi mes trouvailles, je retiendrais deux bouquins.
Le 1er « Tous les phares de France ». Pourquoi ? J’ai retrouvé les clichés du phare des Sables d’Olonne où tu passais des vacances. Et parce que les phares guident les navigateurs. Tu aimais particulièrement la mer, tu aimais naviguer… Tu avais pratiqué la voile avec papa.
[Lecture « Le voilier » attribué à William Blake]


Le 2nd livre est signé Jean d’Ormesson qu’on apprécie tous, un truc de famille : « Le guide des égarés ». Un titre bien à propos. En 4e page de couverture, voilà ce qu’écrit Jean d’O :
« Aujourd’hui comme hier, nous sommes des égarés. Nous ne savons toujours pas ce que nous voudrions tant savoir : pourquoi nous sommes nés et ce que nous devenons après la mort. Derrière les accidents de notre vie de chaque jour qui suffisent à nous occuper, les motifs et le sens de notre passage sur cette planète nous restent très obscurs. C’est la question : qu’est-ce que nous faisons là ? »
Pour ma part, je sais ce que je fais là, à cet instant. Je te rends hommage grand frère. Dans cette famille quelque peu dissolue, je suis celle qui sait créer ou maintenir des liens. Entre nous, le fil ne s’est pas rompu… Je suis émue d’avoir pu être à tes côtés ces dernières semaines, présente face à ta souffrance, jusqu’au dernier jour. Je t’accompagne encore aujourd’hui. Je serai également là pour le dernier voyage. Je te l’ai promis, j’emporterai tes cendres en mer au large de Lorient. La Bretagne que tu aimais tant. Le port qui te servait d’attache et de courriel, phlorient@…
Mes « hommes » -comme tu disais de Philippe et de Nicolas- te font une dernière BPM, bonne poignée de main !
Au revoir GF. Je prendrai bien soin de moi ; tu m’y as invitée. Ce furent tes tout derniers mots pour moi lors de ton agonie. Ceux d’un frère.
Crématorium de Troyes, 9 novembre 2017
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