Secret de famille, la souffrance des origines

Jean-Paul et Véronique ne se sont pas aimés par hasard.
Leur récit s’inscrit dans l’histoire de la 2e guerre mondiale avec des secrets de famille qui percutent, et perturbent, leurs existences.

Depuis son enfance, Jean-Paul porte en lui une souffrance liée à ses origines. Né le 22 novembre 1943 non loin de la base sous-marine de Saint-Nazaire, il grandit entre « on dit » et « non-dits ». Il entend souvent des questions esquissées, « alors, il sait le petit ? », et à chaque fois, la même réponse « Chut … ». À dix ans et demi, ses parents lui avouent qu’il n’est pas leur fils, qu’ils l’ont adopté après le décès de ses parents biologiques lors d’un bombardement. Mais il ne croit pas à cette version.

En 1971, Jean-Paul épouse Véronique et fonde une famille de quatre enfants. Deux sont adoptés. Cette démarche réveille chez lui le souvenir de son passé douloureux. Il entame des recherches à partir de son acte de naissance où figure le nom de sa mère, Simone B. et retrouve sa trace. Elle n’est pas morte sous les bombes et vit toujours à Saint-Nazaire. Contactée, elle lui apprend qu’elle ne l’a jamais abandonné : « On vous a enlevé à moi parce que votre père était allemand, il s’appelait Walter. »

Jean-Paul est un enfant de l’amour, issu d’une alliance interdite avec un jeune soldat allemand, retiré dès sa naissance à sa mère parce que bébé de la honte, « enfant de Boche ».

Cette révélation provoque une réaction inattendue du côté de la famille de Véronique. Édith, sa mère, lui demande de retrouver Hans, le jeune soldat allemand « si gentil », prisonnier entre octobre 1946 et avril 1948 et affecté dans la ferme familiale des Hautes-Alpes.

Dans le cadre de séances d’hypnose, Véronique revient sur les circonstances de sa naissance, en 1947. Elle pesait moins d’1,5 kilos et ne mesurait pas 40 centimètres. « Il arrive que des mamans accouchent prématurément pour cacher la paternité », glisse sa psychothérapeute. Véronique en est désormais convaincue : sa mère a voulu lui cacher un mystère lié à l’identité de son père.

La parenthèse de la guerre refermée pour Walter et Hans,
une vie tourmentée s’ouvre pour les enfants de Boches

Jean-Paul et Véronique parviennent à dépasser le secret de leurs origines et, lors de retrouvailles chaleureuses, à se lier avec les familles allemandes de leurs géniteurs respectifs.

Lui, apprend hélas que Walter est mort en 1978 : « À cause de ce secret, je n’ai retrouvé qu’une tombe. » Elle, doit composer avec le silence : respecter celui de Hans, soucieux de préserver son entourage, et celui de sa mère Édith qui ne reconnaît que de manière implicite son attachement.

Dans les couples, souvent, deux inconscients se reconnaissent

Ce récit sidère par les similitudes de parcours du couple. Ils ont connu un début de vie identique, leurs histoires se répondent.

La levée du secret de l’un a conduit au dévoilement du secret de l’autre. « Intérieurement, on pressentait cette identité commune, analyse Véronique. La blessure de Jean-Paul faisait de façon inconsciente écho à ma propre histoire. » Ces révélations les ont apaisés.

Une souffrance commune liée aux origines

Ces histoires sont courantes pendant la guerre. Certains enfants sont le fruit d’une histoire d’amour qui traversent les événements et durent parfois plusieurs mois ou années. D’autres sont nés des viols commis.

Combien sont nés de ces relations, consenties ou non, entre Françaises et Allemands ? Faute de recensement, difficile d’avoir des chiffres précis. Les estimations tournent autour de 40 à 70 000 naissances, voire jusqu’à 100 000 si on élargit la période (de février 1941 à 1949, soit neuf mois après le début de l’invasion allemande en mai 1940, jusqu’à l’évacuation des derniers prisonniers de guerre fin 1948).

Tous ces enfants sont issus d’une sorte de parenthèse – la guerre – qui, une fois les soldats démobilisés, se ferme sur le pire comme sur le meilleur, les liens d’amour. L’histoire ne fait hélas que commencer pour leur progéniture.

Source : Une histoire de famille hors du commun et improbable – Parents ! @Familles, 30 avr. 2023

Pour aller plus loin :

« Indie a été mon binôme, nous avions une connexion rare »

8 août 2022 – Lecture : 4 minutes

  • Présentez-nous votre animal de compagnie, celui qui vous a le plus marqué…

Indie, ma première chienne chihuahua avec laquelle j’ai eu un lien très fort, hélas disparue il y a trois ans. C’était mon double, mon binôme, elle me suivait partout. Avec moi, elle a expérimenté tous les moyens de transport (train, avion, bateau, moto). Elle aimait me suivre partout et devint ainsi une star des plateaux de télévision.

  • Comment est-elle arrivée dans votre foyer ?

Ayant toujours vécu avec de grands chiens, j’avais un a priori sur les chihuahuas. Un jour, deux adorables spécimens à poils longs, croisés lors d’une visite touristique, m’ont conquise. Je voulais adopter un petit chien qui puisse m’accompagner partout, j’ai alors opté pour cette race.

  • La rencontre, vos premiers échanges…

J’ai répondu à l’annonce d’une famille à Béziers et lorsque j’ai vu cette petite chienne, ce fût le coup de cœur ! Au retour, dans la voiture, Indie sur mes genoux, j’ai ressenti un truc incroyable. Il s’est vraiment passé quelque chose de puissant. Après avoir un peu gémi – elle venait d’être arrachée à sa mère – elle a très vite voulu savoir ce qui se passait dans la voiture, elle n’était pas pétrifiée ce qui m’a plu. Ensuite, ce fut l’amour fou entre elle et moi.

  • Comment avez-vous choisi son nom ?

Je cherchais un nom en deux syllabes avec des « i » pour la sonorité. Cinéphile, j’ai pensé à Indie, en référence à Indiana Jones, un film que j’adore. J’ai pensé qu’elle vivrait de belles aventures.

  • Quelle place occupait-elle dans votre foyer ?

C’était à la fois mon bébé et mon ange-gardien. Tous mes animaux sont des membres à part entière de la famille. C’est important que les proches le comprennent quand vous instaurez une telle relation. Un lien s’est très vite créé avec mon conjoint, Indie était en admiration devant lui.

  • Quels étaient vos rapports avec elle ?

Fusionnels, sans être exclusifs. Nous avions une connexion unique sans que ce soit de l’hyper attachement. Indie m’apaisait beaucoup.

J’avais un cabas mou, en fausse fourrure. Je lui avais appris à se cacher dedans et j’ai pu l’emmener partout. Son éducation a été très facile. Elle marchait sans laisse même dans les rues de Paris, elle me suivait, s’arrêtait aux passages cloutés. Sur les plateaux télé, elle m’attendait dans la loge. Elle était gentille avec tout le monde.

Elle fut même mon assistante. Lors de mes consultations, elle était présente sans interférer, assise dans son cabas dans un coin, ce qui me m’a souvent permis de tester, par exemple, la sociabilité du chien que je recevais. Je pouvais observer ses attitudes. Quand il approchait de sa couche, elle grognait une ou deux fois ce qui devait suffire à le laisser à distance. S’il insistait trop, le chien avait manifestement un problème de contrôle ou de dialogue canin.

  • Qu’avez-vous le plus apprécié chez elle ?

Sa sagesse. Sans être ni collante, ni en demande, elle était à mes côtés et gardait un œil sur moi. Quand elle sentait que j’avais besoin d’une pause, elle venait me voir avec un regard particulier pour m’inciter à me détendre ou à prendre l’air.

  • Une anecdote, un souvenir …

Indie était une Parisienne, elle trottinait fièrement la tête en l’air dès qu’on revenait dans la capitale. Sa démarche n’était absolument pas la même à la campagne !

La fois où elle m’a le plus surprise et émue fut lors d’un tournage pour « La Quotidienne » sur France 5 à propos de la médiation animale. Il s’agissait de devenir chien-visiteur auprès de malades dans les hôpitaux pour l’association « Parole de chiens ». À l’époque, l’association n’acceptait pas les mini-chiens, les tests effectués avec Indie par l’éducatrice comportementaliste lors du casting n’étaient notamment pas adaptés à son gabarit. Sachant que ma chienne, équilibrée et sociable, serait une bonne candidate, Isabelle de Tournemire, présidente de l’association, nous a conduites au chevet d’une femme âgée hospitalisée. J’ai posé Indie sur le lit et elle nous a bluffées. Elle a fixé un instant la malade puis a cherché des câlins, lui a fait la fête tout en se contrôlant pour ne pas lui faire mal. Elle a enchaîné un numéro de roulades et de jappements de joie avant de se lover dans son cou. Que d’émotions ! Indie a offert du bonheur à cette femme seule, elle fut rayonnante le temps de notre visite. Depuis, un mini-chien peut devenir chien-visiteur.

  • Comment avez-vous réagi quand elle est morte ?

J’ai été profondément affectée, dévastée, d’autant que sa mort a été tragique et brutale. Lors d’un séjour dans les Landes, elle a fait une mauvaise rencontre. Elle n’avait pas 6 ans… Et je n’ai pas pu la réanimer, elle est morte dans mes bras…

Même en tant que vétérinaire, constamment en relation avec la maladie et la mort, je n’étais pas préparée.

Nous avons enterré Indie dans notre jardin familial. Nous tenions à un cérémonial avec un cercueil, des fleurs. Puis je lui ai rendu hommage en publiant un texte sur Facebook, j’ai reçu un nombre impressionnant de messages très émouvants. Le deuil a été long, les mois suivants ont été très durs. J’ai traversé les mêmes étapes que pour la perte d’un proche. Au début, j’étais abasourdie, dans le déni puis en colère, avant d’être submergée par un chagrin intense. J’ai été entourée, mais il m’a fallu du temps avant de pouvoir accueillir un nouveau chien, Yago.

  • La vie sans animal, ce serait…

Bien triste et inconcevable, un véritable manque.

  • Si elle avait pu parler, qu’aurait dit Indie aux humains ?

Vivez le jour présent.

  • Quel est votre film préféré avec un animal dans un rôle principal ?

Hatchi avec Richard Gere, tiré de l’histoire vraie du lien indéfectible entre un chien et son humain (sorti en 2009, le film met en scène un chien Akita Inu). Je pleure à chaque fois. Je le recommande à tous, même s’il fait jaillir des larmes.

  • Et un livre ?

« L’appel de la forêt » de Jack London (l’histoire de Buck qui devient chien de traineau dans le Grand Nord), il a marqué mon enfance.

  • Si vous deviez être réincarné dans un animal, quel serait-il ?

Le chat pour le pouvoir de son silence et la puissance de sa présence. Un chat est avant tout libre et indépendant dans le sens où il décide de sa vie, il sait se faire du bien et aussi penser aux autres. Il n’est pas asocial contrairement à ce que pense la plupart. Il choisit de s’attacher avec qui il veut et quand il s’attache, c’est sincère à 100 %.

  • Dans quel domaine pensez-vous qu’il faille renforcer la législation protectrice des animaux ?

Le problème ne réside pas dans un manque de lois en droit animalier mais dans l’absence d’application des textes et arrêtés qui existent. A-t-on déjà condamné quelqu’un en France pour abandon de son animal ? L’augmentation des peines permet sans doute aux magistrats de faire évoluer les jugements. Aujourd’hui, il y a encore trop d’amendes, de sursis ou de relaxes pour des actes que la société condamne (cruauté et violences envers les animaux). La loi de novembre 2021 est positive dans la mesure où aucun texte n’avait été voté depuis des années. On avance.

La justice devrait mettre en place un fichier des personnes condamnées auxquelles on interdirait à perpétuité la possession d’un animal.

  • Quelles mesures en faveur de la cause animale soutenez-vous particulièrement ?

Il y en a tant ! Pour n’en citer que trois :

  1. la lutte contre la corrida. Donner en spectacle la souffrance animale, car souffrance il y a, n’est plus acceptable au XXIème siècle ;
  2. l’exclusion sociale via l’animal. Pour les sans-abris, les animaux représentent souvent leur seul lien social ;
  3. la promotion des petites associations de défense et de protection animées par des bénévoles.

Je suis ainsi membre de l’association des vétérinaires Anti-Corridas, marraine de l’association Gamelles pleines qui aide concrètement à soigner, nourrir et faire garder les animaux des personnes particulièrement défavorisées, et marraine de l’Arche des Associations depuis sa création.

Propos recueillis par Alexandra Deschamps le 8 août 2022

« Monsieur Bouquet »

Le comédien et acteur, Michel Bouquet, est décédé le 13 avril 2022 à Paris à l’âge de 96 ans. Avec simplicité et finesse, sans grandiloquence, Muriel Robin lui a rendu un hommage émouvant aux Invalides le 27 avril.

Le Parisien – LP/Fred Dugit

La comédienne Muriel Robin a rendu un hommage à la fois puissant et bouleversant à son ancien professeur du Conservatoire de Paris, qu’elle a connu il y a 45 ans et qui est devenu, au fil des ans, son ami.

En quoi sa lettre se distingue-t-elle des nombreux hommages qui se sont succédés de toutes parts ? Par le choix des mots et par la sensibilité qui le traverse, ce texte ciselé et poignant, prononcé la voix tremblante, témoigne d’un attachement profond.

« Monsieur Bouquet,

Monsieur Bouquet, parce que je vous ai toujours appelé ainsi. Sans prénom, vous restiez le maître. Monsieur, pour la noblesse et l’élégance.

Monsieur Bouquet, savez-vous que je porte tout près du cœur une lettre que vous m’aviez adressée il y a quarante ans, faisant référence à notre entrée commune au Conservatoire six ans plus tôt, vous le professeur, moi l’élève ? Vous écriviez de votre plume légère et bleue : « nous avions besoin de réconfort chacun de notre côté. Je ne sais si vous l’avez trouvé du mien. Moi, en tout cas, je l’ai trouvé du vôtre. »

Sachez qu’auprès de vous, je l’ai trouvé au centuple et plus encore qu’on ne peut rêver.

Un regard, une écoute, une attention à l’autre, une vérité.

Monsieur, vous m’avez ouvert les portes d’un si vaste monde, le théâtre.

J’étais profane, vous étiez sacré.

Avant de croiser votre chemin, je ne m’étais jamais tenue aussi près de pareille intelligence.

Trois années passées dans votre atelier à désirer que quelques bribes de votre esprit m’éclaboussent. Je dis bien atelier, car vous étiez un artisan, un compagnon du devoir, posant et reposant mille fois son ouvrage sur l’établi, avec humilité et dans l’amour du travail.

Un jardinier, aussi. Ne disiez-vous pas avoir creusé, fouillé, bêché les textes du répertoire. J’aimais me tenir près de vous à regarder jaillir les fleurs éclatantes.

Par vous et avec vous, j’ai découvert les mots, leur poids, leur puissance, leur finesse.

Vous ne conceviez pas notre métier autrement que comme une révérence au texte. « Un texte, on le sert sans se servir », disiez-vous. Vous défendiez l’idée d’un acteur serviteur n’existant qu’en creux pour accueillir pleinement son rôle.

L’humilité, rien que l’humilité, à votre image.

Monsieur Bouquet, vous souvenez-vous de notre promenade sur le boulevard tout près de chez vous ? Nos bras étaient liés sans que nos peaux ne se touchent. J’avais 25 ans, je voulais tout arrêter. Vous m’avez rattrapée au vol avec une poignée de mots qui m’ont bouleversée : « je suis ton père de théâtre », mon plus bel acte de naissance ! Ma renaissance. Il y a quinze ans, le métier me tuait. Vous m’avez tancée : « tu n’as pas le droit, Muriel, tu as le devoir de servir ! » Le père avait parlé, le repère dans la nuit.

Monsieur Bouquet, je vous le dis sans emphase (pleurs), vous m’avez sans doute empêché de mourir et, plus encore, donner à vivre.

Votre tendresse, teintée de pudeur, votre bonté ne me quitteront jamais. Cette façon que vous aviez d’effleurer, de prendre mes mains pour fermer mon visage entre les vôtres. Alors, j’étais la plus forte du monde, rien ne pouvait m’arriver puisque j’étais entre vos mains, vos mains savantes, travailleuses, de velours, velours de théâtre. Je souhaite à tous les comédiens du monde de croiser un jour la route d’un monsieur Bouquet, un maître capable de vous alléger le pas, et d’emplir vos cœurs de l’amour du théâtre, et vos mains des outils les mieux affûtés. Je crains pourtant que vous ne soyez parti en omettant de nous laisser le moule de votre savoir-faire, et celui de votre élégance.

La grâce et l’esprit passent rarement le mur de la transmission.

Hier, je lisais dans un des nombreux hommages qui vous sont rendus que votre collaboration avec Camus vous avait bouleversé : « je suis rentré chez moi sur des échasses, qui m’ont été nécessaires toute ma vie », disiez-vous. Je comprends mieux pourquoi j’ai toujours vu en vous un Géant. L’heure de prendre congé de vous est venue. Très haut sur vos échasses, la tête dans les nuages, vous vous éloignez doucement. Le Ciel est à ce prix.

Je n’achèverai pas cette dernière lettre sans vous assurer que je veillerai sur Juliette, votre aimée de toujours, de la façon délicate dont vous avez veillé sur moi.

Les trois coups retentissent ; le rideau se lève, le roi se meurt. Pas vous, pas toi, non surtout pas toi !

Je t’embrasse de toute mon âme (sanglots). Avec ce tutoiement que j’ai enfin su te donner la dernière fois que nous nous sommes vus.

Je vous aime, je t’aime. Je sens votre bras s’arrimer au mien et nos peaux se frôler. »

Lire aussi « Il était un repère, un père », confie Muriel Robin au Parisien.

L’histoire d’un homme – Alain Chamfort

Alain Chamfort est un mystère, un chanteur paradoxal. Cet homme discret et réservé s’est frayé un chemin entre variété populaire et sophistication musicale. Une confidence à propos de son histoire familiale éclaire pour partie sa personnalité.

En confiant au réalisateur Laurent Fléchaire un événement qui a marqué la vie de sa mère, Alain Chamfort livre une clé qui permet de mieux saisir sa personnalité énigmatique et la singularité de son parcours.

Alain Chamfort – 2019

Chanteur français présent sur les ondes depuis plus de 50 ans, Alain Chamfort, né Le Govic, a grandi à Eaubonne dans le Val d’Oise. Il reconnaît avoir une place « un peu marginale » dans la chanson. « Là depuis longtemps, et en même temps, toujours sur la tangente, sur un petit chemin à côté. … On n’arrive pas forcément à me comprendre ou à me connaître. Je n’ai pas peur de grand-chose, ça peut paraître étrange : je ne suis pas quelqu’un armé pour combattre, pour s’imposer et, en même temps, j’arrive à ma manière, sans brutalité et sans violence », admet-il.

Celui qui chante des textes existentiels avec légèreté est ce que les psychanalystes appellent un enfant de remplacement. En effet, ses parents ont eu, avant lui, une fille qui a disparu. À propos de ce drame familial, Alain Chamfort confie : « C’était une petite fille mort-née. Maman a été évidemment marquée par cet événement dans sa vie. »

On comprend l’anxiété de Madame Le Govic, enceinte du futur Alain, craignant de perdre une deuxième fois un enfant. Quelles répercussions sur celui d’après ? « Toute la période où elle m’a attendu, elle était extrêmement inquiète. Moi j’étais vraiment quelque chose qui fallait protéger à tout prix, de toutes les manières », raconte le chanteur. C’est ainsi que, par exemple, la pratique du foot, « trop brutal », lui fût interdite.

Alain Chamfort ne provoque personne, il ne se met pas en avant pour bousculer le destin. « Peut-être qu’avoir l’impression inconsciemment d’occuper la place de quelqu’un d’autre fait que vous laissez de l’espace, analyse-t-il. Je ne suis pas quelqu’un qui arrive et qui prend l’espace, qui décide que c’est son moment à lui, qu’il est là pour en imposer à tous les autres. Tout ça s’explique par un tas de choses qui convergent et qui sont ma nature profonde ; la façon dont j’ai été élevé, l’angoisse de ma mère, vous avez tout ça et je suis là. »

Ne pas s’imposer, voilà un terme qui revient à plusieurs reprises dans l’entretien. Pourtant, le chanteur s’est bien révélé l’un des compositeurs les plus doués et estimés de sa génération.

Source : « Le pape de la pop chic » Réal. Laurent Fléchaire – 2019 ; France TV 3, diff. 5 janvier 2022

Enfant né sans vie : il peut être nommé et figurer sur le livret de famille

La loi du 6 décembre 2021 marque un tournant en matière de filiation. Les parents d’un enfant né sans vie peuvent désormais lui donner un nom de famille. Ils étaient 8747 enfants nés sans vie en 2020. Cette faculté de nommer ces enfants est rétroactive et peut concerner les familles endeuillées antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi. Elles devront patienter jusqu’à la parution des textes d’application.

Jusqu’à présent, tout enfant né non viable, décédé in utero ou au cours de l’accouchement, ne pouvait bénéficier que d’un prénom symbolique, dès lors que la grossesse dépassait la quinzième semaine. Ses parents ne pouvaient pas lui transmettre de patronyme. Cette possibilité est désormais ouverte, et c’est heureux ! Accorder un nom à cet enfant revient à lui conférer une reconnaissance réelle et à l’identifier comme un membre à part entière de la famille même s’il n’a pas vécu.

« Ne pas ajouter l’oubli à l’insupportable tragédie »

« L’enfant né sans vie n’est pas rien. Il appartient à la famille », a plaidé Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux, lors du vote du texte à l’Assemblée nationale le 26 novembre 2021. Convaincu de la nécessité d’admettre dans le code civil l’inscription d’une mémoire pour apaiser cette souffrance si longtemps déniée, il faut donner un nom de famille aux enfants nés sans vie pour ne pas ajouter l’oubli à l’insupportable tragédie. »

Pourra ainsi figurer dans l’acte de décès « à la demande des père et mère, le ou les prénom(s) de l’enfant ainsi qu’un nom qui peut être soit le nom du père, soit le nom de la mère, soit leurs deux noms accolés dans l’ordre choisi par eux dans la limite d’un nom de famille pour chacun d’eux. Cette inscription de prénoms et nom n’emporte aucun effet juridique », conclut le texte.

Une loi rétroactive qui s’applique aussi au livret de famille

Cette loi s’applique également aux enfants nés sans vie dans le passé. « Cette possibilité de nommer l’enfant dans les actes d’enfant sans vie sera également ouverte pour les actes déjà dressés qui pourront ainsi être complétés » a indiqué le ministre de la justice lors des débats parlementaires.

L’inscription de l’acte dans le livret de famille est également envisagée. « Il sera prévu par décret que, à la demande des parents, le livret sera complété ou délivré, a précisé le ministre qui s’engage également à ce que « ces nouvelles dispositions réglementaires soient largement diffusées pour accompagner les familles frappées par ce deuil profond. »

En 2020, 8 747 actes d’enfant sans vie ont été dressés.

Sources : loi n° 2021-1576 du 6 décembre 2021 : JO 7-12 texte n° 2 ; article 79-1 du Code civil



Déclaration d’enfant né sans vie : origine et histoire
La première mesure encadrant les enfants mort-nés date du Code Napoléon. En 1806, un décret a précisé comment l’officier de l’état civil devait rédiger l’acte de présentation d’un enfant né sans vie qui permettait aux parents d’inhumer la dépouille. Retranscrit dans le registre des décès, l’acte ne mentionnait ni le nom, ni le prénom de l’enfant.
En 1848, une circulaire a souligné que l’enfant mort-né est celui sorti sans vie du sein de la mère après 180 jours de grossesse (6 mois). La délivrance de ce document administratif visait uniquement à garantir l’hygiène publique.

Enfants inommés puis oubliés

État civil, archives des Hauts-de-Seine

L’an 1902, le 29 octobre, à 9 heures au matin, Acte de présentation d’un enfant sans vie de sexe féminin, fille de A. B., âgé de 39 ans, comptable, et de L. S., son épouse âgée de 34 ans, sans profession, demeurant à A. rue d’Angeville. Dressé par… sur la déclaration du père de l’enfant et de Monsieur J. S. âgé de 30 ans, lesquels ont affirmé que la susdite enfant est sortie du sein de sa mère hier à neuf heures du soir au domicile de celle-ci et ont signé après lecture.

Philippe, frère et pas à demi

Philippe est décédé d’un cancer le 29 octobre 2017 à l’âge de 68 ans. Sa soeur a confié à Via Noé l’écriture d’un hommage personnalisé qu’elle a lu au cours de la cérémonie funèbre.

Philippe,

Nous avions pris l’habitude de nous saluer par acronymes quand on s’écrivait des sms. Tu étais « GF », mon grand frère ; j’étais « PS », ta petite sœur. Tu m’appelais « petite soeur » et j’aimais ça. Une génération nous séparait. Quand je suis née, tu avais 21 ans et tu étais déjà père, celui de Laëtitia. Puis tu as été celui de Mathias et enfin celui de Suzanne. Tu avais ta vie, on ne s’est que rarement croisés pendant mon enfance ou alors au gré de visites de notre père à Barbey. Tu étais l’un de mes demi-frères.

Ce n’est qu’une fois adulte que j’ai vraiment appris à te connaître. Je me rappelle un déjeuner avec notre père et Thierry. Nous étions, fait rare, tous les quatre réunis. Papa heureux de cette occasion de partage avec ses 3 enfants. Puis, il y eût les funérailles de mamie, nos larmes versées ; mon mariage, plus joyeux, et ce triste mois d’octobre 1999 où nous avons enterré notre père.

Comme lui, tu es mort un jour d’octobre. Lui le 1er, toi le 29. Octobre, c’est aussi le mois de naissance de notre frère dont on ne sait plus rien, si ce n’est qu’il a fêté ses 59 ans quelque part dans le Sud. Thierry te connaît sans doute mieux que moi, mais il est absent. Il s’est tiré, le rebelle… !? Ainsi le surnommais-tu.

Alors qui étais-tu, toi, notre aîné ?

Un petit garçon aux oreilles décollées, un gaucher contrarié, un gamin élevé chez les jésuites, un boy scout devenu un temps photographe, puis électricien.

Un homme mystérieux, voire secret, assurément vif et intelligent, doté d’un sens de l’humour affûté, tourmenté sûrement aussi. On m’a dit de toi que tu étais paresseux, peut-être, je ne sais pas ; malchanceux, sans doute, je ne sais pas trop ; un peu menteur, peut-être, je ne veux pas savoir ; fumeur et trop buveur, oui hélas, chacun sait.

Samedi, j’étais chez toi à rassembler affaires et objets. En vrac, les appareils photos anciens, ta vieille guitare et ton harmonica ; la maquette du Belem, démarrée et qui restera inachevée ; l’horloge, le sabre et les épées du grand-père Claude (son maillet de Franc-mac’ aussi) ; le jeu de tarot et les échecs, les classiques du cinéma français (de Gabin à Belmondo), les films de gangsters, nombreux. D’ailleurs, grand frère, tu fus un peu voyou toi-même, n’est-ce pas ‘zonzon’ ?

Comment savoir qui tu étais vraiment au fond ?

A travers tes lectures, peut-être. Dans notre famille, on aime les livres. Tu n’en manquais pas, tu appréciais entre autres l’histoire et les polars. Parmi mes trouvailles, je retiendrais deux bouquins.

Le 1er « Tous les phares de France ». Pourquoi ? J’ai retrouvé les clichés du phare des Sables d’Olonne où tu passais des vacances. Et parce que les phares guident les navigateurs. Tu aimais particulièrement la mer, tu aimais naviguer… Tu avais pratiqué la voile avec papa.

[Lecture « Le voilier » attribué à William Blake]

Le 2nd livre est signé Jean d’Ormesson qu’on apprécie tous, un truc de famille : « Le guide des égarés ». Un titre bien à propos. En 4e page de couverture, voilà ce qu’écrit Jean d’O :

« Aujourd’hui comme hier, nous sommes des égarés. Nous ne savons toujours pas ce que nous voudrions tant savoir : pourquoi nous sommes nés et ce que nous devenons après la mort. Derrière les accidents de notre vie de chaque jour qui suffisent à nous occuper, les motifs et le sens de notre passage sur cette planète nous restent très obscurs. C’est la question : qu’est-ce que nous faisons là ? »

Pour ma part, je sais ce que je fais là, à cet instant. Je te rends hommage grand frère. Dans cette famille quelque peu dissolue, je suis celle qui sait créer ou maintenir des liens. Entre nous, le fil ne s’est pas rompu… Je suis émue d’avoir pu être à tes côtés ces dernières semaines, présente face à ta souffrance, jusqu’au dernier jour. Je t’accompagne encore aujourd’hui. Je serai également là pour le dernier voyage. Je te l’ai promis, j’emporterai tes cendres en mer au large de Lorient. La Bretagne que tu aimais tant. Le port qui te servait d’attache et de courriel, phlorient@…

Mes « hommes » -comme tu disais de Philippe et de Nicolas- te font une dernière BPM, bonne poignée de main !

Au revoir GF. Je prendrai bien soin de moi ; tu m’y as invitée. Ce furent tes tout derniers mots pour moi lors de ton agonie. Ceux d’un frère.

Crématorium de Troyes, 9 novembre 2017

D’après photo – Die Mütze

Une photo est un bon support pour raviver la mémoire, délier la parole ou déclencher l’écriture. On l’utilise souvent comme exercice au cours d’ateliers d’écriture. Description objective ou subjective, factuelle ou fictionnelle, plus ou moins proche de la réalité, à chacun de se laisser guider. Illustration.

Garçonnet en culotte courte
Une photo ancienne, jaunie. Un petit garçon se tient devant une marche, debout face à l’objectif. Derrière lui, un bâtiment recouvert de vigne vierge. Il est vêtu d’une chemise claire à manches longues, d’une culotte courte en laine et de collants un peu trop grands, plissés aux genoux. Il est chaussé de bottines en cuir à lacets. Il a glissé la main droite dans sa poche, sa main gauche potelée le long de la cuisse. Il porte une casquette trop grande et regarde le photographe. Les lèvres légèrement pincées, il ne sourit pas.

La casquette

Une photo jaunie s’est échappée de l’album de ma mère. Au dos du cliché, une légende : « Kamerad Lothar lässt sich photografieren, mai 1934 * ».
C’est son frère aîné. Maman n’était pas encore née.
A deux ans passés, il se tient debout, face à l’objectif. Regard franc, lèvres bien dessinées, très sérieux, on sent pourtant la malice prête à jaillir. Sur la tête, une casquette d’homme mal ajustée, bien trop grande. Les petits garçons s’emparent tous un jour du couvre-chef de leur père ou, à défaut, espèrent qu’un officier accepte de délaisser quelques instants son képi. Fier le bambin, la main droite glissée dans la poche de sa culotte courte, sa main gauche joliment potelée qui pendouille trahit son très jeune âge. Touchantes rondeurs de l’enfance, il est mignon ce petit bonhomme. On aurait pu imaginer qu’il se mette au garde à vous, mais non.
La casquette à visière est celle d’un cousin, un gaillard de quinze ou seize ans. A l’âge où cet adolescent devrait pouvoir se consacrer entièrement à ses études, aux travaux de la ferme ou à ses amours de jeunesse, il est contraint plusieurs heures par semaine à une autre occupation des plus impérieuses.
Sur la Mütze** du petit garçon, l’emblème nazi des jeunesses hitlériennes.

*Camarade Lothar se laisse photographier, mai 1934 **Die Mütze : la casquette

Atelier d’écriture des éditions Gallimard, Les ateliers de la NRF
« Le roman de soi » animé par Camille Laurens, 2017

Histoire de postérité

« Le désir d’atteindre la postérité (…) ne les troublait pas. Ne connaissant point le passé, ils ne concevaient point l’avenir, et leur rêve n’allait pas au delà de leur vie. »

Anatole France, Lys rouge, 1894

Que signifie passer à la postérité ? S’agit-il d’une affaire d’ego, d’ambition ou de talent ? La postérité est-elle réservée à certains ?

Souvent, la postérité est réduite à la gloire et à la renommée dont sont auréolées certaines personnalités. Il faudrait être singulier et génial pour passer à la postérité !?

Descendance ou lignée, la postérité est, au sens premier, la suite des descendants d’une même origine. Certains membres d’une famille passeront à la postérité, d’autres mourront sans laisser de postérité, c’est-à-dire sans enfants. Ainsi l’arbre familial sera-t-il plus ou moins ample selon que ses branches et ramifications seront étendues.

Par analogie, on parle de l’ensemble des héritiers d’une même tradition spirituelle, artistique, littéraire. Il s’agit de filiation et d’héritage au sein d’une famille ou d’une communauté. Les artistes et écrivains laissent ainsi après eux une oeuvre.

Par extension, la postérité est l’ensemble des générations qui ont suivi ou suivront une oeuvre, un événement ou une époque. La postérité représente alors l’avenir, le futur. Écrire ou faire des photos revient à travailler pour la postérité et à transmettre quelque chose, à laisser une trace de soi, de ses actions et idées, autrement dit de son âme. Cette trace survit à l’individu pour témoigner de son passage, de son existence et de ses actes.

Enfin, la postérité est aussi assimilée à la renommée qui survit dans la mémoire collective des hommes, appartenant à leur patrimoine. Un chef d’oeuvre traverse les décennies, voire les siècles, éclipsant au fur et à mesure d’autres oeuvres. Doit-on pour autant honorer les seuls génies ?

Chaque membre d’une famille mérite d’être reconnu et de subsister dans la mémoire familiale.
Et vous, partagez-vous cette conviction ?

# postérité #descendance #lignée #génération #trace #témoigner #transmettre

Tout ce que je ne vous dirai plus

Une patiente d’Anne Dufourmantelle raconte le vide laissé par la disparition de la philosophe et psychanalyste le 21 juillet 2017.

Tout ce que je ne vous dirai plus, Anne. J’ai choisi les mots dans ma tête, les images se superposent. Lorsque j’ai grimpé pour la première fois les cinq étages de cet immeuble rue Guisarde, je vous ai tout de suite tout dit. Vous étiez comme cela, Anne, vous inspiriez la confiance, votre douceur et votre regard vert en amande libéraient la parole. J’ai été frappée par votre élégance majestueuse, votre visage racé, votre sourire de mère louve d’une rare bienveillance. Je n’ai jamais connu femme plus douce que vous. Les détails de votre allure, vos longues robes, vos créoles, vos bracelets cliquetants, votre silhouette gracieuse et longiligne. Vous étiez de ces femmes à qui on a envie de ressembler. Après m’avoir écoutée longuement, en silence, vous avez dit d’une voix claire mais basse : «Vous êtes une Ferrari, et vous vous comportez comme une 2 CV.» Je n’ai jamais oublié cette métaphore. J’ai su d’emblée que j’allais vous aimer. Vous aviez cette faculté des mères et des grandes héroïnes d’apaiser et de guider les âmes, vous séchiez mes larmes de femme-enfant incomprise sans bouger de votre fauteuil vert. Je ne voulais pas m’allonger sur le canapé car votre regard était pour moi aussi salvateur que vos mots. Vos mots qui ont tant couvert mes maux. Tout ce que je ne vous dirai plus, Anne, tout ce que je ne vous dirai plus. Votre seule présence imposait l’admiration, le respect, l’écoute. Pourtant, vous étiez si humble, si pudique, si douce malgré votre force étonnante. Votre port de tête, votre démarche souple de félin, vos yeux à mille regards. Votre âme, pure et ancienne, riche et secrète, n’avait que la volonté de guider, de transmettre. Vous étiez d’une générosité, et vous vous êtes oubliée, jusque dans la mort. Chère Anne, tout ce que je ne vous dirai plus.

Il y a dix jours, alors que j’étais plus déprimée que d’habitude, vous m’avez laissé un message vocal, l’unique depuis que je vous connais. D’une voix douce et lointaine, vous m’avez dit : «Laura, vous avez tant de force de vie en vous.» Si vous saviez comme je regrette de ne pas vous avoir rappelée. Ces mots seront les derniers que vous m’aurez adressés. Dimanche dernier, j’ai appris votre noyade, votre mort héroïque en tentant de sauver deux enfants d’une mer déchaînée. Mon père, d’une voix incertaine, me l’a annoncé par téléphone. Je me souviendrai toute ma vie de ses mots : «Laura ? Bon, ce n’est pas quelqu’un de la famille mais… Anne Dufourmantelle. Elle s’est noyée à Saint-Tropez.» Je n’ai pas voulu y croire. J’ai éclaté en sanglots, puis j’ai demandé : «Mais elle est morte ?»

Je n’ai jamais imaginé que vous puissiez mourir. A mes yeux, vous étiez invincible, insubmersible, vous étiez trop belle, trop brillante, trop cultivée, trop bonne pour mourir. Une femme comme vous ne peut pas mourir à 53 ans, mais la mer est injuste et ne connaît pas ses noyés. Sinon, la mer vous aurait épargnée, comme une amie, si elle savait qui vous étiez. Elle vous aurait enveloppé dans son manteau et se serait tout de suite apaisée, vous berçant jusqu’à la rive. Oh, Anne, tout ce que je ne vous dirai plus. Je vous vois dans mes rêves, splendide mère se dressant contre la violence des flots, portant des enfants dans vos bras. Je ne peux pas vous voir suffocante et emprisonnée, même si la nature a été plus forte que vous. Tout ce que je ne vous dirai plus…

Où êtes-vous à présent, chère Anne ? Et nous, vos patients, votre famille, vos amis, où sommes-nous sans vous ? Je me plais à croire qu’un peu de votre âme s’est dispersée en chacun de nous, comme des petits morceaux d’or. Hier, pour la dernière fois, j’ai grimpé les cinq étages de l’immeuble de la rue Guisarde. J’ai glissé une carte sous votre porte, vous ne la lirez pas, c’est peut-être idiot, mais cela m’a fait du bien. J’ai regardé par le trou de la serrure, et j’ai vu votre fauteuil vert. Intact, impassible, il semblait attendre votre retour. Rien n’avait bougé. J’ai appuyé la paume de ma main sur la porte, et j’ai murmuré «merci». Peut-être n’êtes-vous pas encore si loin.

Adieu, chère Anne. J’avais encore tant de choses à vous dire.

Laura Girsault, étudiante en littérature comparée, patiente d’Anne Dufourmantelle

Libération 30 juillet 2017

« Tu m’as appris à dire oui, à plonger la tête dans l’invisible, à célébrer la vie »

Clara, la fille aînée de la philosophe Anne Dufourmantelle, a rendu hommage à sa mère disparue le 21 juillet 2017.


Réseau de lumières éparses dans la nuit je vous cherche encore Réseau de lumières amies venez pressez-vous autour de nos visages L’ombre nous avale

Et le rire de maman contre mon épaule

Me montre le chemin. Eteignez les lumières de la ville Eteignez les bougies Les phares de vos voitures Je cherche le rayon vert qui part du cœur Comme un ange J’ai attendu toute la nuit Je voulais entendre ta voix encore une fois Et c’est ton rire qui a explosé dans mes pensées Comme un bateau En deuil Au milieu de l’espace

Maman,

Tu m’as appris à me réjouir de chaque imprévu

Tu m’as appris à dire oui

A plonger la tête dans l’invisible et tu m’as donné une soif de vivre, une soif de célébrer la vie, qui m’habite inépuisablement et qui est au cœur de mon désir de travailler avec la scène. De créer des communautés enthousiasmées et enthousiasmantes autour de la musique, de la parole. On a écumé ensemble les musées et les opéras, tu m’as donné l’amour de la renaissance italienne, l’amour des romans, de la philosophie, l’amour de l’amour. Un jour je t’ai dit que ce qui nous différenciait toi et moi, c’était le rapport qu’on avait à la vérité. Je pensais que tu n’y croyais pas et je trouvais ça facile. J’avais tort je crois. A ta façon, un slalom tout en douceur, tu restes libre. Tu passes dans nos vies avec ton amour et tu disparais maman. Une histoire de karma. Mon problème, tu disais, c’est que je veux toujours être une fée.

Tu as toujours fait ce que tu désirais maman. Je me souviens d’une discussion sur l’héroïsme qu’on avait eue ensemble. J’étais très excitée après avoir lu un passage des séminaires de Lacan. Je trouvais ça merveilleux de définir la figure du héros comme celui qui ne cède pas sur son désir. Je crois que tu es une belle héroïne maman.

Tu as publié ton premier roman, tu as aimé follement et toujours comme tu le voulais toi.

Tu as ta façon bien particulière d’être hors-la-loi maman. Tu fais toujours les choses un peu à côté, avec un sourire tendre, comme pour t’excuser d’être celle qui regarde dans le sens inverse. Comme si c’était involontaire, comme si tu n’y pouvais rien. Tu as cette façon de te tromper toujours de mois ou de jour quand tu achètes des billets d’avion, de taper le rythme des chansons avec la pédale de frein dans la voiture. Tu te débrouillais toujours pour couper toutes les files, mais avec une telle tendresse que personne ne disait jamais rien. Tu avais cette façon de défendre les positions anarchistes les plus belles, les plus courageuses, avec ce petit rire d’excitation que tu as quand tu t’enthousiasmes. Tu as une force et un courage et une puissance inouïs, maman. Tu montres souvent pattes blanches mais personne n’est dupe. Moi, je ne suis pas dupe. Ta puissance, je l’accueille dans mon cœur, et j’espère que de là-haut, tu seras fière des fêtes à venir.

J’ai envie de partir de l’autre côté du monde

Maud et Gabriel dans les poches

A la recherche de la tendresse évanouie

Je fais partie de celles qui ne tombent pas maman

Je continuerai à danser comme si la Terre allait arrêter de tourner

Comme tu me l’as appris

Fontaine végétale tes mains délicates portent l’anneau colombien

Depuis des années

J’ai peur des départs maman

J’ai peur de ton départ

J’ai constitué une armée d’enfants soldats qui dans cette maison ont fait venir les aurores boréales dont tu me parlais quand j’étais petite

Tu étais là, assise par terre, derrière la table de papy Alain

Et ce goût de liberté tendre et joyeuse

Arrimée à tous ceux qui t’entourent

Etait là, avec nous

On refait le monde maman. On refera le monde maman, comme tu m’as appris, toujours à la pointe de l’épée. Je regarde papa peindre depuis petite tu sais. Il fait toujours venir la lumière de l’obscurité. C’est grave et léger à la fois, la joie.

Ode à toi maman. Ode à la joie partagée. Ode à nos fous rires qui nous faisaient quitter les salles d’opéra. Je le convoque aujourd’hui autour de ton corps que j’aime et qui repose tendrement à côté de cette maison que tu aimes tant.

Le monde entre comillas nous arrive toujours avec un temps de latence, les monstres se cachent derrière le figuier du jardin

J’ai appris à leur parler dans la nuit

La peine comme un trou au milieu de la poitrine duquel Salen flores mama

Salen flores y ojos verdes abiertos en el río

Les magiciens aux voix blessées écrivent des comptes dans les placards

Un jour, je te les murmurerai à l’oreille

J’ajoute une chose,

Hier, le grand feu a embrasé l’horizon. J’écoutais les merveilleux amis s’inquiéter pour nous et préparer les bagages, au cas où. L’électricité était coupée à la maison. J’ai eu envie de rire, et de pleurer aussi un peu. Je me suis dit : elle nous a fait le coup de l’incendie. Horizon rouge, gris, les flammes, et le vent qui emporte tout sur son passage. Je savais bien que tu ne pouvais pas partir sans nous faire un signe à 15 000 volts. J’ai pensé au prologue de ton roman : « Les grands feux sont une espèce en voie de disparition. Ils se propagent à la vitesse du vent et de la nuit. Leur souveraineté soumet l’espace. Pareils aux météorites et au désir, leur dangerosité, leur degré de combustion, leur trajectoire sont imprévisibles.

Dévastation. Régénération. Nous sommes de même nature ; des feux. »

Tu es notre maman aimée

J’ai prié pour toi toute la nuit

Je t’aime.

Clara Dufourmantelle – Libération, 30 juillet 2017