Jean-Paul et Véronique ne se sont pas aimés par hasard.
Leur récit s’inscrit dans l’histoire de la 2e guerre mondiale avec des secrets de famille qui percutent, et perturbent, leurs existences.
Depuis son enfance, Jean-Paul porte en lui une souffrance liée à ses origines. Né le 22 novembre 1943 non loin de la base sous-marine de Saint-Nazaire, il grandit entre « on dit » et « non-dits ». Il entend souvent des questions esquissées, « alors, il sait le petit ? », et à chaque fois, la même réponse « Chut … ». À dix ans et demi, ses parents lui avouent qu’il n’est pas leur fils, qu’ils l’ont adopté après le décès de ses parents biologiques lors d’un bombardement. Mais il ne croit pas à cette version.
En 1971, Jean-Paul épouse Véronique et fonde une famille de quatre enfants. Deux sont adoptés. Cette démarche réveille chez lui le souvenir de son passé douloureux. Il entame des recherches à partir de son acte de naissance où figure le nom de sa mère, Simone B. et retrouve sa trace. Elle n’est pas morte sous les bombes et vit toujours à Saint-Nazaire. Contactée, elle lui apprend qu’elle ne l’a jamais abandonné : « On vous a enlevé à moi parce que votre père était allemand, il s’appelait Walter. »

Jean-Paul est un enfant de l’amour, issu d’une alliance interdite avec un jeune soldat allemand, retiré dès sa naissance à sa mère parce que bébé de la honte, « enfant de Boche ».
Cette révélation provoque une réaction inattendue du côté de la famille de Véronique. Édith, sa mère, lui demande de retrouver Hans, le jeune soldat allemand « si gentil », prisonnier entre octobre 1946 et avril 1948 et affecté dans la ferme familiale des Hautes-Alpes.
Dans le cadre de séances d’hypnose, Véronique revient sur les circonstances de sa naissance, en 1947. Elle pesait moins d’1,5 kilos et ne mesurait pas 40 centimètres. « Il arrive que des mamans accouchent prématurément pour cacher la paternité », glisse sa psychothérapeute. Véronique en est désormais convaincue : sa mère a voulu lui cacher un mystère lié à l’identité de son père.
La parenthèse de la guerre refermée pour Walter et Hans,
une vie tourmentée s’ouvre pour les enfants de Boches
Jean-Paul et Véronique parviennent à dépasser le secret de leurs origines et, lors de retrouvailles chaleureuses, à se lier avec les familles allemandes de leurs géniteurs respectifs.
Lui, apprend hélas que Walter est mort en 1978 : « À cause de ce secret, je n’ai retrouvé qu’une tombe. » Elle, doit composer avec le silence : respecter celui de Hans, soucieux de préserver son entourage, et celui de sa mère Édith qui ne reconnaît que de manière implicite son attachement.
Dans les couples, souvent, deux inconscients se reconnaissent
Ce récit sidère par les similitudes de parcours du couple. Ils ont connu un début de vie identique, leurs histoires se répondent.
La levée du secret de l’un a conduit au dévoilement du secret de l’autre. « Intérieurement, on pressentait cette identité commune, analyse Véronique. La blessure de Jean-Paul faisait de façon inconsciente écho à ma propre histoire. » Ces révélations les ont apaisés.
Une souffrance commune liée aux origines
Ces histoires sont courantes pendant la guerre. Certains enfants sont le fruit d’une histoire d’amour qui traversent les événements et durent parfois plusieurs mois ou années. D’autres sont nés des viols commis.
Combien sont nés de ces relations, consenties ou non, entre Françaises et Allemands ? Faute de recensement, difficile d’avoir des chiffres précis. Les estimations tournent autour de 40 à 70 000 naissances, voire jusqu’à 100 000 si on élargit la période (de février 1941 à 1949, soit neuf mois après le début de l’invasion allemande en mai 1940, jusqu’à l’évacuation des derniers prisonniers de guerre fin 1948).
Tous ces enfants sont issus d’une sorte de parenthèse – la guerre – qui, une fois les soldats démobilisés, se ferme sur le pire comme sur le meilleur, les liens d’amour. L’histoire ne fait hélas que commencer pour leur progéniture.
Source : Une histoire de famille hors du commun et improbable – Parents ! @Familles, 30 avr. 2023
Pour aller plus loin :
- Fabrice Virgili, Naître ennemi : les enfants de couples franco-allemands nés pendant la Seconde Guerre mondiale, Éditions Payot, 2009
+ le commentaire de Mary Louise Roberts, Revue d’histoire moderne & contemporaine, 2011 - Nicolas Charles, Aimer l’ennemi, Journal des anthropologues, 2019













